Poésie sous plastique


L'émondage industriel








Aplatis tous
Asservis bien ensemble
Sous les voix tonitruantes des chroniqueurs
Choisissant heure par heure ce qui doit nous combler
Nous submergent heure par heure
Devenant tous pareils à grandes brassées
Crachant dans la soupe cosmique des particules de message
Faits pour être oubliés
Nos contradictions apaisées via Netflix
Tous rivés, tous rivés
Bien ensemble par milliards
Nourris tous au même abreuvoir
Pensés pensant aux mêmes mots
Tous enfermés dans nos mansardes
Attendant, un et plusieurs
Faisant, bougeant à l'arrêt
Les seuls choix laissés à notre volonté
 Tous là pensant penser
Nous spécifiant à coup de ce qu'on aime
Beaucoup mieux que celui de son voisin
Bien maintenus par les balises
Attelés au même fardeau à un mur près
Presque impeccablement
Planifiés dans le désordre
 Presque impeccablement
Organisés dans le chaos 
Presque impeccablement
Ordonnés
 Bien proprets
Au fond d'une mélancolie terne
Agis sans plus jamais pouvoir
Tourner nos regards
Vers nos destinées tragiques
Perdus d'en trop savoir
Sans pouvoir en apprendre
Même plainte partout
Sans cesse renvoyée aux calendes
Baignés, emportés dans la nasse
Transparents à nous-mêmes jusqu'à devoir toucher 
Des doigts
Les formes presque sacrées
De l'ennui absolu
Emondés, écrasés sous la masse
Plusieurs milliards
A devoir respirer
Sans issue




Avril 2020











L'amour du censeur





Le démontage méticuleux des faussetés délicieuses à l'ouïe
Des malpropretés incrustées dans les plis de l'histoire
De ce qu'on en fait en fait de fête
Et qui fait grincer les dents
De ceux qui pleurent en ignorant pourquoi
Quand il désordonne la machine
On y respire des embrunts familiers
Il nous tient les mains attachées
Aux mains de ceux qui vinrent monter par pièces
Notre artisanat grandiloquant
Politique en apnée depuis les millénaires
Mais qui résiste aux vents mauvais de l'information amorphe
Le droit fil tordu et menteur de la loi
Qu'il nous donne à caresser
Dans le sens des concrétions
Frôlant sans répit la malédiction 
La solitude absolue de ceux qui savent
Il dévoile l'impossible trace par coups de boutoirs
Dans les culs sans ride de la technocratie
A qui il arrache parfois un gémissement
Le plaisir ambigu
De se savoir enfin vue









Juin 2019


L'amour du censeur 


Hommage sans réserve à Pierre Legendre





Trou noir





Pendant quelques lunes
Montèrent les frottements, les cliquetis, les appels
Le fouillis de tous les murmures
Et des savoirs secrets
Dans un angle du vide
S'appellaient les voisines
Prises à leur propre essoufflement
Lorsqu'elles levaient les yeux
Et que la question effarouchante
De leurs solitudes faisaient trembler les clochers
Des moments de grand vacarme
Avec régularité
Tentaient de se perdre dans l'espace
Ça massacrait souvent avec ferveur
Et puis
Pendant quelques lunes
Jurant devant les autels
Ça promettait de ne plus jamais souffrir
Les vrombissements, les ronflements, les échappements
Avaient couvert le bruit vain des vagues
Mais plus personne n'y prenait garde
Depuis quelques lunes
On ne s'entendait plus
Puis soudain
Les fronts se transpercèrent
D'une certitude empoisonnée tirée vers un point incertain
Et une peur
Inconnue comme une nuit acoustique
Tomba partout
Personne n'y croyait il y a à peine quelques minutes
Mais tous étaient déjà morts
Et ne resta plus 
Dans l'intersidéral
Que le vrai silence inhumain






Novembre 2018






Homme mage








Oh comme tu te déchires petit homme
Plié, criblé, passable
Etranglé
Vomissant des malédictions sur tes plaies
Impossible de t'aimer tu l'es
Pris sans apprendre
Et tendre aussi, tendre
Mal assis entre la loi et le miroir
Toujours à reprendre
A recommencer
Avide et las
Fatigué de devoir au crible de tes actes
Ne pas avoir
A rendre de compte sauf à toi
Que tu te nies et te rejettes
Que tu te coupes allègrement la tête
Celle des autres toujours de trop
Mais coulant dans ton sang
Comme de petites tumeurs tant aimées
Pris entre deux dos et des ventres
Entre l'amour et l'amante
Entre ciel loin et terre sacrée
Tout loin
Tout abandonné
Oh comme tu pleures
Seul au fond du prix à payer
De te savoir seul à jamais
L'infini te scied
Mais tu l'ignores
Enchevêtré dans ton goût pour la mort
Ratiboisé, malade
Empoisonné par les tiens
Sans lien, sans lien
Fasciné par la bagarre à mener sans répit
De ne jamais devoir savoir qui est qui




Homme mage

 







Septembre 2018




 



Robert Parry






Soudain ce soir, nous avons perdu notre main
Qui nous protégeait des rayons brutaux et des sables
Écrivait au grand jour des faits dispersés
La trace que nous pouvions laisser, notre ténacité
Sera effacée et les voies closes aux esprits sondeurs
La révolte s'est tue et notre dos est las
Qui le remplacera dans sa volonté blanche
Et fera aux oreilles des jours résonner un peu la semonce
Qui nettoiera les écuries des palais
Où stagnent la bêtise et l'envie
La violente décrépitude que génère le pouvoir
Et, sur leurs murs, les laves des fortunes obscènes
Il est parti, nous a laissé
La voix que nous voulions entendre
Au loin, ferme et sifflante
S'est dispersée dans l'avenir
Qui posera encore quelques cailloux
Pour y guider nos désespoirs ?



Hommage à Robert Parry





Janvier 2018













La réponse





Il ne nous restera qu'à peine le temps de donner des noms
Aux réveils hostiles
Indifférents à nos pyramides et nos allées
Nos jeux effacés
Nos dieux pointilleux
Et notre maîtrise
Notre extravagante évanescence
Mugiront bien ensemble
De se voir ainsi
Ecrasés
Dilapidés
Engouffrés
Martelés
Aux courants somptueux d'une si grande aventure
Tout nous sera devenu étranger
Et pourtant, comme nous savions !
Savions à en perdre l'idée
Qu'il valait mieux parfois nous taire
Nous aurons touché la splendeur du total exil
Et elle aura un oeil d'acier
Elle ne nous dira mot
Mais sa force impudente
Sera plus implacable
Que tout ce que nous peinions à entendre
Nous ne serons plus que nous
Et tout à coup s'imposera
La vérité de la réponse
Il n'y en aura plus qu'une au centre des chaos
Mais explosés par l'angoisse de cette fin magnifique
Nous ne l'entendrons pas
La matière, à la scander 
Nous y pétrifiera




La réponse






Texas




Août 2017



Projet d'avenir










Et leurs enfants agiteront leurs fronts
Devenus incapables d'apprendre
Ni d'attendre, ce qui veut dire la même chose
Mais plus personne ne s'en souviendra
Humidifiant leurs gosiers secs de quelques sucres bleus
Dans un vacarme religieux
Ils laisseront couler le temps
A travers la résistance molle des écrans
Epuisant le mystère jusqu'à lui donner une fonction
Chacun de leurs à-peu-près aura un nom codifié par les sciences
Une molécule aussi pour le remettre en place
Ils guetteront avec passion l'évènement
Ils positiveront avec zèle
Pressés de mettre en valeur ajoutée leurs nouveaux acquis
Dans les domaines autrefois si délicats
Des rencontres amoureuses
De la procréation
De l'alimentation
Etc.
Ils géreront, en maîtres
Ils auront enfin appris à parler
De  tout
D'eux, ce sera devenu pareil
Leur parole aura perdu ses accrocs, ses crocs
Mêlée à celle de leur voisin
Ils aimeront tant leur voisin
Qui dans sa compassion
Le leur rendra bien
Ils seront très pareils
Et très ignorants
Dans la douceur de leur modélisation parfaite
  Contrôlable jusque dans leurs viscères
Ils sauront comment
Parler
Et manger
Et dormir
Et aimer mieux
Soutenus dans leur effort par la recherche
Ils auront enfin maîtrisé leur indéfini
Dans une gestion
De leur être
Interchangeable
Et un peu flou au-dedans
Sauf la mort peut-être
Ils auront effacé son léger souffle
Sous les déclinaisons chromatiques
De leurs peaux tatouées
L'immortalité des choix
Surtout leur  infaillibilité
Leurs mots un à un mourront
Ils ne le sauront pas
Balbutiant d'autres mots toujours plus nouveaux
Qui vivront l'instant
Il n'y aura plus que des instants
Sans plus l'infini des grands doutes
Ils auront abandonné
L'idée du claudiquant et de sa force
Ils marcheront mieux
Faisant au même rythme 
Le tour du globe
Sans retour possible
Ce qui changera tout




Projet d'avenir












Août 2017

A voté 6 mai 2017










L'impasse
Tout autour
La sensation d'être assise quand je marche
Parmi les volutes sonores du populo
Et enfermée dans un silence d'outre-tombe
J'ai enterré quelque chose
Peut-être était-ce encore vivant
Quelque chose d'une idée
D'un travail
Quelque chose d'une vision assez calme, au fond
Assez
Repartie à la vie avec quelques lombaires en moins
Celles qui serviront à encaisser
Les dérèglements
Les dérégulations
Les désordres et les démissions
Les désespoirs chroniques
La malignité du mal
La liberté absolue des forts
Au détour d'une rue
Quelqu'un m'appelle
Une petite fille qui crie mon nom
Et je pleure
Pour elle
Avec elle qui ne sait pas qu'elle pleure
Qui plongera dans la brillance des écrans, plus tard
Pour ne pas devoir y penser
La file d'attente n'a jamais été aussi longue à la Foirefouille
Chacun venant chercher un petit morceau des débris de l'empire
Pour décorer son chez soi
Où seule, dans un brouhaha auquel nous nous sommes habitués
Seule au centre des mirages
Trône la vertu intouchable du déni



Élections dans les Îles


A voté

Les Choses














Nous n'entendrons plus que leur hautain silence
Les choses
Sous leur emprise
Nous ne respirerons qu'à pas comptés
Couchés sur nos dos
Sous leur stature placide
Enveloppés bien serrés
Dans la texture bigarrée de nos contradictions
Leur pouvoir en dira pourtant long
Sur le soin obséquieux qu'on leur accorda
Qui nous immobilisa là
Justement
Sous elles
Bien sûr certains chercheront à partir
Empêtrés dans leurs accoutrements
Ils souhaiteront revenir à la raison de nos pères
Car nous comprendrons peu
Écrasés mais encore un peu dignes
Presque transparents sous l'importun fourbis
Nous nous excuserons d'être encore vivants
Et offrirons nos passés et nos restes à leur souveraine inappétence
Il est trop tard
Certains diront, il est trop tard
Nous leur mettrons dans la bouche
Les gages de notre espoir borné
Un à un
Les propylènes qui nous endorment
Notre soudaine aliénation n'éveillera aucun soupir
Il est trop tard
Mais nous l'ignorerons avec  candeur
 L'inertie pesant seule maintenant sur l'éphémère
Épaissis le cours du temps, l'espace
Nous resterons accroupis sous leur injonction
Contrefaits et surpris par cet interminable présent
Finis nos allers fiers
Finis nos buts et nos actes incessants
Plus l'heure pour nos chevaux sensibles
Rien que la poussière qu'ils laissent en nous quittant
Plus même l'air
Les choses obtuses nous étreignent et nous tendent
Leur empire est luisant
Nous nous sourirons
Nous disant "Je nous aime"





Les choses







Juillet 2010












 




Le Requiem des Gueux










Tu ne pouvais pas savoir, avant
Avant, quand le temps était encore possible
Les voies ouvertes malgré quelques secousses et les rêves
Tu ne savais pas et c'était important
Que ta route serait longue et nue
Et ta voix de moins en moins audible
Tu ne savais pas comme il faudrait se battre
Pour continuer de croire qu'être soi suffit
Et s'accoupler au flux
Tu n'entendais pas et c'est normal
Peu te parlaient de ta vie
Puis chaque pas est devenu plus lourd
Et chaque inhalation
Plus cinglante aux poumons
De tant d'appels écrasés sous les heures
Tant d'appels effacés par les rues
Tu ne savais pas que ta solitude était ton seul bien
Qu'elle  seule te serrerait la main dans la mort
Que personne ne te saurait, ne te penserait, ne te chercherait
Personne
Tu ne savais pas que les seuls signes de ton passage
Parmi le brouhaha des vivants
Seraient, laissés au vent, pendant des semaines
Les amnésies d'une vie dont tu avais perdu le nom





 Le requiem des Gueux










Décembre 2016







Effondrement














Où mettre le bout des doigts, durci par les touches
Qui envoient les pétitions dans les sphères
 Se presse dans les conduits auditifs pour se taire
Que faire ?
De cette sorte de légère nausée quotidienne
Poussant derrière sans trop se dire
Commun accord et puis encore
Encore
Se balancer aux idées, aux illusions des choix
Pour se sentir au grès des chutes
Étiré, tiraillé, pas chez soi
Pas chez soi
Au monde
Pas chez soi
Fermer les paupières aux vents mauvais
Aux humanités bilieuses, aux sacrilèges ?
Le ventre serré par tant d'inconséquences
Trahison excitée de la simple raison
Se sentir étranger dans sa propre demeure, attendant l'heure
Comme celle d'une sorte de soulagement des fatras
Prédire l'avenir et oublier ?
Être si sûr, si sûr
Que la violence des masses finira par sombrer
Étouffée sous les eaux perdues par sa matrice
Suivant la pente des mondes enfouis
Qui ont cru qu'ils seraient éternels
Puis ont baissé la nuque sous le choc de leurs méfaits
Mais en grand, cette fois
En grand 




Effondrement




Décembre 2016
Hommage au grand Jared Diamond